Philo



Première dissert'...

    Mardi soir. Sur votre agenda ouvert à la page du mercredi, deux mots, agrémentés d'un point d'exclamation: Philo: dissert'. Non, maintenant, impossible de l'ignorer davantage. Il va falloir vous y mettre. Oui, là, maintenant, tout de suite.

    Après quelques minutes de prostration, vous sortez enfin une feuille. Votre esprit proteste de toute ses forces: "Eeeeh, non!!! Tu ne vas quand même pas m'obliger à faire ça !!" Autrement dit, vous n'avez, vraiment, mais vraiment aucune envie de commencer. Il faut dire que, après environ un mois de cours, vous n'avez pas entièrement compris le pourquoi du comment du qu'est-ce qu'on me veut au juste de cette obscure matière dénommée "Philo". Apparemment, il s'agit de répondre à des questions indiscrètes du type "Est-il raisonnable de vouloir tout savoir?".

    Bon.
    "Est-il raisonnable de vouloir tout savoir?"
Ben euuuuh c'est que… comment dire... enfin voilà quoooi…Tu vois ce que je veux dire? Non? Ah bon. Vous voilà en état d'aporie… avant même d'avoir commencé. C'est tout de même embêtant.

    "Est-il raisonnable de vouloir tout savoir?"
Votre esprit aquoiboniste a déjà transformé la question:
À quoi bon être raisonnable?
À quoi bon vouloir tout savoir?
À quoi bon répondre à cette question?
Nan mais t'as vraiment rien de mieux à faire?
Remarquez qu'il y aurait pas mal de choses à dire là-dessus, mais une petite voix dans votre tête vous dit qu'il vaudrait peut-être mieux éviter de mentionner l'aquoibonisme dans un cadre scolaire.

    "Est-il raisonnable de vouloir tout savoir?"
Au fond, votre réponse tient en quelques lettres: "Pfff…". Mais bon, même pour un pro du baratin, ça reste un peu léger pour remplir 6 pages.

    Réaction habituelle de l'aquoiboniste devant une tâche a priori infaisable ou du moins exigeant une importante réflexion: "J'ai faim". Vous vous dirigez donc vers la cuisine et ouvrez une tablette de chocolat. Le but de l'opération est double: consciemment, vous cherchez un prétexte pour retarder au maximum le moment ou il faudra réellement s'attaquer au problème. Inconsciemment, vous espérez atteindre par inadvertance la dose létale de chocolat, ce qui résoudrait définitivement le problème (et plein d'autres en même temps). Bon, et puis tant que vous y êtes, vous vous faites un thé: 5 minutes de répit supplémentaires, le temps que l'eau chauffe.

    Bon, bien sûr, il y aurait la solution de l'avis parental: "Papaaa, au secours, j'y arrive paaaaas!", ou, de manière plus subtile "Hmmm, au fait, Papa, à ton avis, c'est raisonnable de vouloir tout savoir?". La technique du "SOS parents" s'est en effet maintes fois révélée utile, à l'occasion de quelques compos d'histoire et autres exercices de bio… malheureusement, elle présente deux inconvénients majeurs:

    Bon, c'est pas tout ça, mais…
    Est-il raisonnable de vouloir tout savoir?
Euuuh…
[sonnerie]
Oooooh, chouette, téléphone! Encore un prétexte pour faire autre chose… apparemment, c'est un appel au secours:
"Allô?
-C'est moi… dis, t'as fait la philooooo?
-Ben on va dire que j'ai sorti une feuille, et puis un stylo… et j'ai écrit la moitié de la date."

S'en suit une vaste conversation sur le taux de remplissage de vos agendas respectifs, votre incapacité totale à comprendre ce qu'on vous veut exactement en philo, les dernières perles de profs et le bahut en général… une demi-heure plus tard, téléphone raccroché, vous n'êtes pas beaucoup plus avancé. Enfin, vous avez quand même réussi à écrire la deuxième moitié de la date. Cet effort mérite bien un deuxième carré de chocolat.

    Est-il raisonnable de vouloir tout savoir?
Euuuh… vais plutôt faire mes maths…
Une heure plus tard, vous avez fait vos exos de maths, de physique, d'anglais, rangé votre chambre, appris votre cours d'histoire-géo (!) et même fait quelques exos d'espagnol (ce qui vous arrive à peu près une fois tout les 4 ans). Comme quoi, la meilleure motivation pour faire tout ce qu'on a pas envie de faire… c'est d'avoir quelque chose d'encore plus ch*ant à faire… En tout cas, maintenant, vous avez épuisé toutes les ressources de votre agenda… plus d'excuses… Il va vraiment falloir vous y mettre.

    Alors…
    Est-il raisonnable de vouloir tout savoir?
En tout cas, ce n'est pas aquoiboniste. Beaucoup trop fatiguant. Mais l'aquoibonisme est-il raisonnable? Ben, ça dépend. Pour un aquoiboniste, ce sont les autres qui ne sont pas raisonnables. Pour les autres, ce sont les aquoibonistes. Donc tout cela est très subjectif. Conclusion: il est impossible de répondre de manière objective à la question, mieux vaut alors se taire. Euh oui, mais j'en connais qui ne vont pas apprécier.

    Est-il raisonnable de vouloir tout savoir?
La vraie question, ce ne serait pas plutôt "Est-il raisonnable de vouloir être raisonnable?"
Est-il raisonnable de vouloir savoir ce qu'est être raisonnable?
Est-il raisonnable de se demander si ce qu'on veut est bien raisonnable?
Est-il raisonnable de vouloir savoir s'il est raisonnable de vouloir tout savoir?
Est-il raisonnable de se poser des questions, d'ailleurs?
Est-il raisonnable de chercher a y répondre?
Bref, tout cela est-il bien raisonnable?

    Ce qui serait raisonnable, vu l'heure qu'il est, ce serait d'aller vous coucher. Oui, mais alors, vous ne pourriez pas rendre votre dissert' demain et risqueriez en conséquence la mort par décapitation (ou du moins une sérieuse dégradation de votre tranquillité scolaire). Et ça, ce n'est pas très raisonnable.
D'où: problème.
Bon, un troisième carré de chocolat.
Nous disions donc: problème. Quelles sont les solutions possibles?

   Les trois premières solutions étant inacceptables, que vous reste-t-il donc comme possibilité?
…faire cette fichue dissert', n'importe comment, mais VITE.

    Bon, allez hop, au boulot. Un plan…
Euh un plan…
Oui bon un plan…
plan plan plan…

    Voilà que vous regrettez presque les dissert' de Français. Là, au moins, dans la plupart des cas, le plan était déjà tout trouvé:
I/ Oui parce que…
II/ Non parce que…
III/ Et de toute façon la question est mal posée.

Ou encore les compos d'histoire-géo (le fameux plan "sauvage de vie"):
I/ Avantages - c'est bien parce que…
II/ Inconvénients - c'est pas bien parce que…
III/ Euuuuh… pas de III/


Autre possibilité, le plan "aspects": aspect politique/économique/social/culturel/humain... (sélectionner deux ou trois adjectifs au choix)

    Alors, est-il raisonnable de vouloir tout savoir? Votre premier reflexe d'aquoiboniste est de tenter d'adapter le plan "sauvage de vie" à la situation, ce qui donne:
I/ Non, ce n'est pas raisonnable parce que…
II/ Si, c'est raisonnable parce que…
III/ Ben, en fait, ça dépend.

Oui, mais voilà, d'après la méthooooode, il paraît qu'on ne peut pas. Ou plutôt, si, mais il ne faut pas que ça se voie. Bon alors plaaaan…
Oh, pis flûte. Un autre carré de chocolat.

    En fait, la seule solution raisonnable pour terminer ("terminer", pas "réussir") ce truc rapidement, c'est d'arrêter de réfléchir et de commencer à agir. Autrement dit, de mettre votre cerveau sur pause, et de laisser votre main, longuement entrainée par des années de rédacs, commentaires, compos et baratins en tout genre, remplir 5 ou 6 pages. Et c'est ce que vous faites: l'heure et la fatigue aidant, votre cerveau ne tarde pas à se mettre en veilleuse. Surpris, vous assistez au remplissage progressif de votre copie double: sur votre feuille désespérément blanche quelques minutes auparavant s'étalent à présent des lettres, qui forment des mots et occasionnellement des phrases. Machinalement vous revenez à la ligne, rabâchez, baratinez, tournez en rond, faites mine d'introduire, de conclure, d'annoncer, d'illustrer…tout en casant aussi souvent que possible les mots "savoir", "connaissance", "ignorance", "raison", "raisonnable"

    Une ou deux heures plus tard, l'affaire semble être enfin terminée. C'est fou comme tout va plus vite quand on arrête de vouloir bien faire. Soulagé, vous refermez votre trousse et votre copie. Surtout, surtout, ne pas relire.

    Lendemain matin, 8h: encore tout heureux d'être venu à bout de cette dissert', vous vous préparez tranquillement à affronter deux heures de maths quand soudain… votre regard se pose sur une feuille fraîchement scotchée au mur de votre salle de classe: "Planning des devoirs". Inquiet, vous vous approchez pour lire "Jeudi 9 novembre, Terminale S: Philosophie, 4h."
    Oh nooon…

2eme dissert' et attention ce coup-ci ça rigole plus

    Un mois plus tard, vous n'avez décidément toujours pas compris le pourquoi du comment du qu'est-ce qu'on me veut au juste de cette matière toujours aussi obscure, vous aurez reconnu la philo… et pourtant, il va falloir remettre ça. Eh oui, nous sommes jeudi 9 novembre. Pour tout dire, votre prof n'a pas exactement tout fait pour vous rassurer: "vous ne comptez pas réviser pendant la pause de midi j'espère ?" Baaah, euuuh c'est que… "Aaah non, mais soyons clairs, ceux qui révisent juste avant se plantent, c'est mathématique!" Ah, bah, c'est dommage ça, parce que…

    Bon, d'accord, d'accord, vous auriez pu vous y prendre avant. Vous étiez même parti en vacances avec plein de bonnes résolutions, mais chassez le naturel il revient au galop et tant va la cruche à l'eau qu'à la fin elle se schtroumpfe… et puis surtout, il est extrêmement démoralisant de se dire "j'ai un cahier entier (eh oui) de philo à réviser, et on est même pas encore à la fin du premier trimestre!".
    Vous tentez tout de même d'y jeter un coup d'œil pendant la pause, en dépit des conseils avisés de votre vénéré(e) prof. Vous n'êtes pas suicidaire au point de débarquer les mains dans les poches pour quatre heure de philo…

… quoique…

    En tout cas, c'est très indigeste, un cahier de philo. Arrivé à la fin de la première page, vous en avez déjà oublié le début. Quand, au bout d'un moment vous vous rendez compte que vous relisez les deux mêmes lignes depuis 10 minutes, vous vous écriez, submergé par une grande vague ras-le-bolesque (comment ça, ça ne veut rien dire?) "Oh pis flûte! Alea jacta est, advienne que pourra, Inch'allah, youpi!" (deux références sont cachées dans cette phrase, à vous de les découvrir). 5 minutes plus tard, pris de remords, vous rouvrez la chose, qui, posée sur le coin de la table, semble vous regarder d'un air moqueur: "je t'avais prévenu!". Mais non, décidément, la philo, à midi, beuh…

    Ça passe vite une pause de midi. Très vite. Trop vite. 14h sonnent et vous voilà au seuil de "l'aquarium" (les habitués reconnaîtront…). La simple idée de passer 4h entassé là-dedans avec vos congénères provoque une désagréable sensation d'étouffement. Vous tentez de vous rassurer à l'aide des petites phrases traditionnelles du type "dans 4h c'est fini" (ben oui mais ça, curieusement, ça ne vous rassure pas plus que ça), ou encore, comme le type qui tombe du 30ème étage "jusqu'ici, tout va bien, jusqu'ici tout va bien…"
    Vous vous frayez un chemin parmi les rangées de tables serrées au maximum (pas facile de caser 23 personnes dans un cagibi…). Jusqu'ici tout va bien, jusqu'ici tout va bien… Vous parvenez enfin à trouver une place dans le bordel général. Jusqu'ici tout va bien, jusqu'ici tout va bien…"HO VOUS M'ECOUTEZ LA, elle est où la feuille d'appel des S ???" Jusqu'ici tout va bien, jusqu'ici tout va bien… "MAIS VOUS ALLEZ VOUS TAIRE, OUI? Bon, tout le monde est là, OUI ou M… euh, oui ou non ???" Jusqu'ici tout va bien, jusqu'ici tout va bien…Le prof distribue les sujets, face cachée. Jusqu'ici tout va bien… "retournez les sujets".

    Rien ne va plus.

    "La culture est-elle la nature de l'homme?"
La seule idée qui vous traverse l'esprit à ce moment-là, c'est "la culture, c'est comme la confiture, moins on en a, plus on l'étale." Ce n'est pas avec ça que vous allez faire vos six pages. Et puis, c'est de qui? Pierre Desproges? Pierre Dac? Françoise Sagan ? Votre voisin? Peut-être pas très recommandé dans une dissert' de philo, en tout cas…
    Bon, réfléchissons.



    C'est fou comme c'est tenace, une idée idiote.
Vous essayez pourtant, selon la méthooode, de trouver deux idées contradictoires, ce qui fait qu'elles ne tiennent pas, la solution qui en découle, du genre "on pourrait penser que parce que mais en fait ça marche pas parce que donc on pourrait aussi penser que parce que mais en fait ça marche pas non plus parce que donc finalement il faut penser que……"
    Mais tout ce qu'il se passe dans votre tête, pour le moment, c'est ça: "Nature, Culture, culture, nature, culture, culture, confiture, confiture, confiture, confiture, confiture, MAAAARMELAAADE!!!"
    Euh. Bon. Hum. Bien. Allez, soyons sérieux, comme dirait l'autre (autrement dit: B*RDEL, concentre-toi!!!).
    Donc, la Nature, la Culture, l'Homme.



    "Qu'importe la culture? Quand il a écrit Hamlet, Molière avait-il lu Rostand? Non." Et m*rde, encore Pierre Desproges.



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    ---{}---



    ---vide---



    Vous entendez d'ici votre prof: "Le problème dans une copie, ce ne sont pas les idées. Ce ne sont jamais les idées."
    Aaaaah ouaaaaaais?
    Ben là, vous donneriez à peu près n'importe quoi pour un bon gros tas d'idées bien bordélique à organiser selon la méthoooode.
    Ou au moins une idée.
    Ou même la moitié d'une…

    C'est possible, ça, une moitié d'idée? Ou bien c'est une moyenne, comme le nombre d'enfants par femme? Si votre voisin de gauche a une idée, votre voisin de droite deux, votre voisin de derrière trois, et vous zéro, ça fait 1,5 idées par potache. Ce qui ne veut pas dire que vous ayez ne serait-ce que l'ombre d'une demi-idée… La vie est injuste. Il faudrait procéder à une meilleure répartition du capital-idées, afin de rectifier les disparités naturelles, et éviter ainsi que ne se creuse davantage le fossé qui, maintenant l'illusion d'une honnête moyenne, sépare les quelques détenteurs d'idées de la majorité indigente. Le potache qui se retrouve collé un beau mercredi pour avoir fait passer des réponses pendant un devoir est en fait un esprit révolutionnaire aspirant à plus d'égalité injustement brimé par un système sclérosé totalement incapable de se remettre en question. Non mais.
    Euuuh, certes, mais là n'est pas la question, justement.
    Pour être précis, la question, c'est: "la culture est-elle la nature de l'homme ?"

    Oui euuuh, bon… vous prenez la grave décision d'aller faire un tour au "bout du couloir" histoire de vous rafraîchir un peu les idées, ou plutôt l'absence d'idée.

    ---schbong-blam-aïe-désolé-pardon-pardon---

    Ouuuuf… de l'air…

    Face au miroir, vous tentez de faire le point sur la Culture, la Nature, l'Homme, la Vie, le Monde et Pierre Desproges.
    Non, pas Pierre Desproges.
    Regarde-moi bien dans les yeux, stupide reflet. Oublie Pierre Desproges. Tu ne connais pas Pierre Desproges. Tu n'as jamais entendu parler de Pierre Desproges. Pierre Desproges n'existe pas. Pierre Desproges n'a jamais existé. Est-ce bien clair?
    En guise de réponse, votre alter ego se contente de sourire bêtement. Vous croyez même déceler une lueur de moquerie au fond des pupilles de l'insolent. Evidemment, quand on reste planqué toute la journée dans son miroir, c'est facile… Allez, sincèrement, vieux, t'aurais pas une idée? A ce stade, l'autre vous fait remarquer qu'étant votre alter ego, il n'a aucune raison d'être plus avancé que vous-même sur la question. C'est juste. Il note également que vous semblez glisser dangereusement sur la pente de la schizophrénie. Définitivement convaincu par cette logique implacable et ces arguments-choc, vous respirez un grand coup, plantez là ce tas d'ondes lumineuses qui se permet de vous donner des leçons ("un miroir est une surface polie, faite pour réfléchir, mais parfois bien impolie quand elle vous fait réfléchir." - Gérard de Rohan Chabot) et replongez dans l'enfer de l'aquarium.

    ---pardon-pardon-désolé-aïe-blam-schbong---

    Bon. Dans 4h c'est fini.
Ah, non, m*rde, 3h.
PLUS QUE 3h?! DEJA???
Eh oui… une heure que vous vous livrez à des idioties sans rapport aucun avec la philo. Et 4 moins 1, ça fait 3. Logique. Mathématique. Apocalypticodramatique.
S'rait pt'être temps d'passer à l'action, nan? Facile à dire…
    Après avoir vérifié que le prof chargé de vous surveiller est comme il se doit plongé dans son journal, vous effectuez un rapide sondage par signaux oculaires interposés. Vous constatez que la majorité de vos collègues sont en train de gratter comme des fous. Mauvais ça. Très mauvais. Vous finissez tout de même par en repérer un ou deux qui ont l'air presque aussi largués que vous. Vos regards se croisent…

    C'est dans des situations de ce genre que l'on se rend compte que le langage verbal ne représente en réalité qu'une infime partie de la "communication". C'est fou tout ce qu'on peut faire passer par un simple regard. Une véritable petite conversation silencieuse s'établit à travers la salle entre vous et votre compagnon d'infortune. Traduit en Français, ça devrait donner à peu près ça:

"Nan mais c'est QUOI, ça???
-Beeen… de la philo…
-Merci ça m'aide…
-Je suis dans une merde internationale (référence cachée)
-Moi aussi, j'en ai peur.
-Non mais qu'est-ce qu'on fout là?
-Ça, c'est une bonne question.
-En plus il doit faire beau dehors, pour une fois (quoique, à travers le mini-velux, c'est dur à dire)
-Dire qu'on pourrait être tranquillement assis au soleil en ce moment (bon, d'accord, soleil Düsseldorfois, mais soleil quand même).
-(en chœur) Pffff…
-J'en ai maaaarreuuuuuh
-J'veux sortiiiir!
-Mayday, mayday, mayday!
-Help, Help, Heeeeeeeeelp!!!
-Oups…too late…"
Regard soupçonneux du prof, signifiant grosso modo:
"Qu'est-ce que vous avez à rigoler comme ça, vous deux…"
Regards innocents:
"Hein? Quoi? Je travaille là…"
Quelques minutes plus tard, vos deux regards se cherchent à nouveau.
"N'empêche… ça risque d'être assez…comique…le jour où elle va rendre les copies…
-Mon dieu quelle horreur…je veux pas voir ça…
-On se suicide maintenant ou tout de suite?
-Ben euuh, au rez-de chaussée et sans fenêtres… ça va pas être facile-facile…"
Nouveaux sourires. Nouveau regard soupçonneux du prof:
"Non mais c'est si drôle que ça votre sujet?"
Nouveaux regards innocents
"Hein, non rien…"
Quelques secondes plus tard…
"Bon allez on devrait peut-être essayer de s'y remettre…enfin de s'y mettre, plutôt.
-La fleeemeuuuuh…
-Allez courage, bientôt ce sera finiiiiii…
-Youpiiiiiii!!"

    Et le tout sans prononcer un mot. L'être humain a des capacités absolument fascinantes.
    Bon évidemment, pour s'échanger des informations plus utiles dans l'immédiat du type "C'est quoi ton plan?" "Qu'est-ce qu'il raconte, déjà, Nietzsche?" ou "C'est quoi les exos de maths pour demain?" (Ah m***rde les exos de maths!!), ça reste un peu limité. Un brin nostalgique, vous songez au temps béni des devoirs-QCM, où un code simple (un coup "vrai", deux coup "faux", trois coups "regarde sous tes pieds, pomme, je t'ai fait passer un mot", quatre coups "oh, ça va, ça va, eh, pomme toi-même!" ) et une bonne répartition des tâches au sein de la classe (bon, t'apprends les fleuves et j'apprends les villes…) permettaient une économie considérable de temps et d'énergie pour un résultat tout à fait satisfaisant. Cela contribuait de plus à entretenir une certaine dynamique de groupe et un bel esprit de solidarité au sein de la classe… On ne parle pas assez des bons côtés de la triche.
   Enfin. Il semblerait que vous soyez en train de vous égarer.

    Oh, rien qu'un peu.

    Bref. La culture est-elle la nature de l'homme?


…Mon empire pour un exo de maths. Oui, oui, un exo de maths, avec un début, une fin, un problème, une solution, un point de départ, une logique… et la possibilité de passer à la question suivante en cas de blocage total.
    Le must: un bon p'tit calcul de dérivée - le truc qui par définition se fait par pur automatisme, sans même avoir besoin de "réfléchir".
Réfléchir. C'est ça le problème. Non mais, c'est vrai, c'est fatiguant de réfléchir. "Mais vous réfléchir, vous n'y avez jamais songé, puisque ça exige de la réflexion!". Oh non, c'est pas vrai… Achille Talon, maintenant. De mieux en mieux. Il va falloir que vous songiez sérieusement à revoir vos références… mais pourquoi seules les citations les moins recasables semblent-elles parvenir à franchir la barrière de votre mémoire à long terme? POURQUOI? Enfin, bref… comme le dit Greg par la bouche de Chichille, réfléchir, ça exige de la réflexion. Le verbe "exiger" renvoie à une idée d'obligation, d'effort à fournir, enfin de trucs pas cool quoi (remarquez l'extrême richesse du vocabulaire employé). En tout cas, réfléchir, cela suppose une action, une volonté de votre part. Or, avez-vous envie de réfléchir? Là comme ça, à première vue, non. Vous ne vous êtes pas levé ce matin en vous disant "ooooh tiens, j'me ferais bien une petite dissert' de philo aujourd'hui"… non, vous c'était plutôt "Hmmm encore dormiiiiir…oh non merde en plus y'a la philo aujourd'hui… veux pas y alleeeeer… et si je simulais une grosse grippe…" "HUIT HEURES MOINS LE QUART!!!TU TE FICHES DE QUI!!!" "bon boooon je me lève je me lève…". D'ailleurs, au fond… pourquoi vous êtes-vous levé ce matin? En fait vous vous posez tout les jours cette question. Pourquoi? Pourquoi les gens se lèvent-ils le matin? Pourquoi s'entêtent-ils à quitter un endroit chaud et confortable, à abandonner un état de bonheur et d'insouciance (ne dit-on pas "dormir comme un bienheureux"?) pour poser un pied, puis l'autre et enfin plonger tout entier dans un monde cruel, impitoyable, plein d'emmerdes et de carrelage froid? D'où leur vient cet extraordinaire courage, cette profonde détermination? En bref: qu'est-ce qui pousse l'homme à se lever le matin?

    La faim. Ben oui, c'est idiot mais c'est comme ça. L'homme, généralement, ne se lève pas parce qu'il a soudainement trouvé un sens à sa vie, ça se saurait. De toute façon, il est encore trop dans les vapes pour réfléchir sérieusement à la question. Non, si l'homme se lève, c'est simplement parce qu'il a faim, ou soif, ou tout autre besoin naturel lié a sa condition d'animal à sang chaud à satisfaire. Prenons un brave homme préhistorique, qui un beau matin, se lève et va chasser le mammouth.S'il se lève et va chasser le mammouth, c'est bien évidemment dans l'optique de manger du mammouth. Et s'il veut manger du mammouth, c'est bien parce que son estomac lui indique qu'en l'absence dudit mammouth, il risque de connaître une inconfortable situation de pénurie. Simple instinct animal: un pur esprit n'aurait aucune raison de se lever le matin (vous me direz qu'un pur esprit, théoriquement, ne devrait pas dormir non plus. Bref.) Une fois la machine enclenchée, trop tard: l'homme se rend compte qu'il s'est une fois de plus fait avoir comme un con. Le contact glacé du sol de la salle de bain l'a fait entrer d'un coup dans la réalité, ses soucis, ses emmerdes, ses "soyons sérieux" et le voilà redevenu "être raisonnable": "je dois me lever pour aller à l'école/pour passer mon bac/ pour travailler/parce qu'il le faut/parce que ça se fait/parce que sinon je vais me faire engueuler/merde je vais être en retard/autre raison " (rayer les mentions inutiles). Impossible pour lui maintenant d'aller se recoucher: il a commencé, malgré lui, à raisonner, à ré-flé-chir ("la pire maladie du cerveau" - les Shadoks. Sans commentaire). Et sa première pensée consciente est pour ceux qui, n'ayant pas encore faim, se prélassent tranquillement dans les bras de Morphée: "HUIT HEURES MOINS LE QUART!! TU TE FICHES DE QUI!!". Réaction immédiate: une brusque poussée d'adrénaline force les bienheureux à poser un pied sur le carrelage maudit: les voilà à leur tour absorbés, avalés, engloutis par la réalité.
    Et le pire, dans l'histoire, c'est que quelques heures plus tard, l'homme est persuadé de s'être levé de son plein gré, conscient de ses devoirs d'"être raisonnable". Mon œil, oui.

    C'est donc ainsi que les choses se son déroulées ce matin: vos parents ont eu faim, se sont donc levés, ont alors repris conscience de leurs responsabilités parentales, ont donc formulés à votre égard une requête d'une intensité sonore suffisante pour provoquer votre éjection immédiate du plum': une fois le pied posé par terre, la vie a repris son cours et vous êtes tombé dans le piège: "je dois me lever prendre ma douche m'habiller vite sinon je vais encore être en retard et je vais encore me faire engueuler".

    Et vous voilà.
    En fait, vous êtes très raisonnable. Raisonnable, "Raisonn-able", en fait ça veut surtout dire "que l'on peut raisonner" comme "fréquent-able" signifie "que l'on peut fréquenter". Autrement dit, quelqu'un de raisonnable, c'est quelqu'un qui se fait toujours avoir, et se laisse convaincre de faire ce dont il n'a pourtant aucune envie.
    Le monde est peuplé de gens raisonnables. C'est absolument fascinant.

    Tenez, pour le moment, votre copie est désespérément vide. Or, vous vous savez trop raisonnable pour rendre copie blanche. Vous allez donc rester dans cette salle - bien que vous n'ayez à cet instant précis qu'une seule envie, sortir - et…vous mettre à écrire. Si, si. Et dans 4 heures, euh, non, 2h30, vous aurez effectivement écrit quelque chose - de la m*rde en boîte, probablement, mais quelque chose. Or, pour le moment, rien ne laisse supposer que cette copie sera un jour remplie - ni problématique, ni plan, pas même une idée, rien. Et pourtant, dans 2 heures, elle le sera. Vous ne savez ni COMMENT ni POURQUOI, vous n'avez même pas ENVIE d'y arriver, et pourtant vous ALLEZ le faire.

    Fascinant, vous dis-je.

    Bon, comment on commence déjà?
Ah, oui, on écrit son nom.
Et puis la classe.
Et puis la date.
Et puis le sujet.
Et on souligne.
Trois fois.

    Euh… oui… et maintenant?

    Ben maintenant… on improvise. Après tout, des tas de gens dans le monde arrivent à parler de n'importe quoi, sans aucune connaissance ni idée sur le sujet. Il y arrivent d'ailleurs tellement bien, que y'a même des gens qui les croient. La rhétorique, qu'on appelle ça. Tiens, au moins un truc que vous avez retenu du cours de philo. Comme quoi…Bref. Vous, vous n'avez personne à convaincre. Pas même votre prof. Vous avez juste à remplir 4 pages (minimum syndical) avec des lettres, des mots, des phrases. Alors ça devrait être faisable, non? Allez. Mettre son cerveau en veilleuse, comme la première fois. Ne pas penser à ce qu'on écrit. Ecrire, c'est tout. Ne pas relire. Ecrire. Et vite, parce que bon, avec toutes vos bêtises, il vous reste à peine deux heures… Ouais, facile à dire. Ecrire de la m*rde sans en être conscient, c'est relativement rapide. Mais écrire de la m*rde en toute connaissance de cause, ça prend un temps fou. Probablement à cause d'un "conflit interne", du genre:
"Non, je peux quand même pas écrire ça…
-Ta gueule, écris.
-Non mais quand même…
-Ecris !!
-Mais c'est de la daube…
-Qu'est-ce que t'as contre la daube?
-Non mais je veux dire, c'est vraiment de la daube…
-Mais vas-tu te TAIRE et ECRIRE, oui?
-Mais ça ne veut rien dire!!!!
-ET ALORS? EC-RIS!!!"

    Mais à mesure que l'heure avance, vous vous posez de moins en moins de questions. De toute façon, maintenant que vous avez commencé à écrire n'importe quoi… il faut aller jusqu'au bout. Votre écriture se fait de plus en plus hiéroglyphique, comme si inconsciemment vous cherchiez à tout prix à rendre impossible la lecture de vos stupidités. Euh, consciemment aussi, d'ailleurs.

Fin de troisième partie. Vous êtes impressionné. Comment peut-on remplir 5 pages avec du VENT? Car c'est bien ce qu'il y dans votre prétendue "dissert' " : rien, nada, vide, néant, pfuiitt. De grandes phrases creuses qui ne veulent absolument rien dire. Même en comptant sur les facultés d'interprétation surdéveloppées des profs littéraires, peu de chance que votre prof à vous parvienne à y comprendre quelque chose. Ou si elle y arrive, faudra qu'elle vous explique, parce que vous, vous n'y comprenez franchement rien.
    Ah, flûte, conclusion… euh… pas de conclusion. Ou bien allez, un 'tite phrase à la va-vite… "A la question de savoir si la culture est la nature de l'homme, il faut répondre…" Quoi au fait? Bah, n'importe quoi, au point ou vous en êtes… Vous griffonnez rapidement quelque chose, rendez votre copie au prof qui piaffe devant votre table, et filez sans demander votre reste…


    Vous avez honte. Vraiment. En fait, peut-être eut-il été plus sage de rendre copie blanche…
Parfois, "Mieux vaut se taire et passer pour un con que de l'ouvrir et ne laisser aucun doute sur le sujet." (sagesse populaire).