Endurance



    Vendredi. 14h. Vous êtes assis dans les gradins d'un STADE. Il fait CHAUD Voire même TRES CHAUD. A 15h50, vous repartez pour deux heures de spé MATHS. Et malgré tout ça, dans moins de 5 minutes, vous allez vous levez et COURIR. Longtemps. Vous savez pertinemment que dans environ 10 minutes, vous aurez des crampes, un point de côté et une solide envie de vomir. Vous savez que, après cela, vous allez arriver en cours essoufflé(e) et en nage, complètement à la masse, et qu' il vous faudra néanmoins répondre tant bien que mal pendant deux heures à des questions incongrues du type "comment prouver que pour tout entier naturel non nul, le nombre 3n+2 - 44n-2 est divisible par 11". Vous savez que demain, vous serez cloué(e) à la maison par les courbatures. Et malgré tout ça, quand le prof va siffler, vous allez sagement vous lever, et , quasiment sans protestations, vous mettre à courir. En rond. En plein soleil. POURQUOI??? En effet, quel être sain d'esprit accepterait de se fatiguer à faire des tours de stade, pour des prunes bien sûr? Et bien, vous, apparemment. Donc deux solutions:

    Vous allez me dire, et vous aurez raison, que l'aquoiboniste n'est pas spécialement connu pour son obéissance sans faille et "moutonnière". C'est vrai. Mais, encore une fois, ne perdons pas de vue le but ultime de l'aquoiboniste: accéder à la tranquillité. Refuser en bloc l'exercice risquerait de nuire a sa tranquillité scolaire (prof pas content, note d'EPS très proche (voire en dessous) du niveau de la mer et appréciation assassine) et par ricochet à sa tranquillité familiale. Ce n'est donc pas une bonne solution. Il est plus sage de commencer par suivre le troupeau , et se mettre docilement en route au coup de sifflet. Voilà une décision raisonnée et raisonnable.

    Seulement voilà: au bout de quelques minutes, le corps se rebelle contre la raison. Il ne comprend absolument pas le "pourquoi" de ce qu'on lui fait subir et le fait savoir (généralement sous la forme d'un point de côté géant). La raison, qui a tout intérêt à se maintenir en bons termes avec le corps, finit donc par se remettre en question. Voici alors ce qui se passe dans la tête de l'aquoiboniste:

"J'ai mal.
-Nan mais au fait, qu'est-ce que je fais là?
-J'ai mal.
-Qu'est-ce que je suis en train de faire au juste?
-Je sais pas mais ça fait mal.
-Je tourne en rond.
-Oui, et en plus, ça fait mal.
-Ça fait 5 minutes que je cours et je suis revenu exactement à mon point de départ.
-MAAAL!!!!
-Nan mais franchement, à quoi ça sert?
-Bonne question. En attendant, j'ai mal, moi.
-À quoi bon?
-p*****, je te dis que j'ai MAL.
-Non effectivement, ça ne sert à rien. Ma décision est prise: STOP.
-Pfiou ben c'est pas trop tôt."

    Esprit et corps enfin réconciliés en sont arrivés à cette même conclusion: Il serait totalement inutile, dangereux et anti-aquoiboniste de continuer. L'effet est immédiat: arrêt total de la machine. L'aquoiboniste peut maintenant reprendre son souffle, marcher tranquillement à l'ombre avec ses autres potes aquoibonistes, et observer les fous (qui courent toujours, parce que ça leur plaît) et les gens un peu trop raisonnables (qui courent toujours, bien que ça ne leur plaise pas).

    Double coup de sifflet du prof "Allez, SPRINT !!!". Non mais vraiment, il a de l'espoir, lui.


    On pourrait penser que l'endurance, c'est toujours la même chose: On se change (comme on peut, certains lycée et un en particulier que je ne citerai pas, ne possédant pas de vestiaires), On va courir (où on peut; pas de gymnase non plus) pendant 2 heures, puis on revient, bien crevé, on se rechange en 4ème vitesse, et on file en cours.

    Erreur. L'endurance, ce n'est pas bêtement courir. Non môssieur, non madame. C'est courir, certes, mais avec intelligence et créativité s'il vous plaît. Un coup "12 minutes, puissance maximum", un coup "la largeur du terrain en trottinant, puis la diagonale vitesse maximum, et puis on recommence", un coup "4 min 40 à 80%, puis 20 secondes de sprint, puis deux minutes de pause, et puis on recommence" (notez que, dans tous les cas, l'important c'est quand même le "on recommence"). Faut pas croire, c'est très imaginatif un prof de sport. Et puis, pour ajouter une dimension intellectuelle à la chose, on fait des maths: "bon, alors, je vous donne votre distance de la dernière fois, vous multipliez par 5 et vous prenez 80 %...". On a beau être en S, on en est pas moins une quiche en calcul mental: "Euuuh, oui, donc, alors, 163 x 5… euh…je pose 5 je retiens 1 et euuuh…". Vous voyez, c'est complexe, l'endurance.

    Le plus drôle, c'est quand même la récupération. Bon, déjà, parce que par définition, pendant qu'on récupère, on ne court pas. Mais surtout… il n'y a rien de plus hypocrite. Je veux dire, à votre avis, les profs de sport, ils s'imaginent franchement qu'après avoir couru 8 minutes, on va s'amuser à sautiller sur place en faisant des étirements? C'est pourtant ce qu'on écrit sur nos "projets de récupération": "marche, étirements actifs et passifs…". Alors qu'on sait très bien qu'on va tout simplement s'écrouler par terre et tout au plus s'étirer les poignets (ben quoi, c'est important les poignets pour courir!)

    Mais ce qui m'intrigue le plus, avec l'endurance, c'est ce qui nous pousse à y retourner tout les vendredis. Serait-ce la curiosité (qu'est-ce qu'il va encore inventer pour nous faire souffrir)? L'habitude? Un fond de masochisme refoulé? Un brin de mauvaise conscience? La volonté d'éviter tout problème administratif ("Dis, toi, t'étais où vendredi?" "Euuuh, bah c'est que…")? Allez savoir…